En chemin vers Bodhgaya, les éléments nous ont mis à l’épreuve. A 11h, le vendredi 25 avril 2015, le sol s’est mis à trembler. Nous avons d’abord cru à une blague d’Igor et Natasha avec qui nous partagions une chambre dans un hôtel miteux. Quand les tremblements se sont intensifiés, et qu’Igor nous a demandé ce qu’il se passait, nous avons eu un reflex commun: courir, aussi vite que possible, pour évacuer l’immeuble. Le bâtiment bougeait sous nos pieds. Impossible de courir en ligne droite, nous heurtions inévitablement les murs. En l’absence d’issue de secours, nous avons pris plus de deux minutes pour rejoindre les autres rescapés dans la rue. Deux minutes, ça paraît court. Durant un tremblement de terre, c’est une éternité. Nous regardions, inquiets, les bâtiments qui nous entouraient, en nous demandant si l’un ou l’autre allait s’effondrer.
Nous avons eu énormément de chance: nous étions à Siliguri, dans le nord de l’Inde, à des dizaines de kilomètres de Katmandou. Nous étions sous le choc, avec quelques bobos, rien de plus. Les Népalais, eux, ont vécu, et continuent à vivre, l’horreur. C’est un euphémisme de dire que nous nous sentons proches et solidaires des victimes du séisme.
Après un tel événement, on se sent tout petit. On se sent vivant. On sait que tout est éphémère, et que le mot d’ordre, plus que jamais, est de grignoter chaque minute de notre voyage avec gourmandise.
D’un coup, on s’est repris en main et on a couru (en taxi-moto partagé, occupé par 10 personnes dont une s’est assise littéralement sur mes genoux) à la gare attraper le train que nous avions eu tant de mal à réserver!
Une escale aux premières heures du jour dans une immense gare indienne (Patna) nous a bruyamment rappelé que l’importante population indienne était en pleine forme. Des centaines de navetteurs étaient allongés à même le sol, en attendant leur correspondance, et nos déplacements relevaient plutôt du slalom que de la marche. D’autres voyageurs avaient entrepris leur sport favori: se dépasser dans la file qui s’était déjà formée devant le guichet de réservation (si vous ne touchez pas physiquement la personne qui vous précède dans la file, c’est qu’un tiers peut s’y glisser, et croyez-nous: les indiens s’y glisseront). Bref, la gare grouillait à 4h du mat comme en plein jour.
Deux trains et deux taxi-moto archi-full plus tard, nous avons atteint notre destination: Bodhgaya, l’une des quatre cités sacrées du Bouddhisme. C’est ici que celui qui n’était encore que Siddharta Gautama a connu l’Illumination et est devenu Bouddha, libéré du cycle infernal des réincarnations.
De nombreux pèlerins, de toutes les nationalités, visitent le temple Mahabodhi, bâti juste devant (le descendant de) l’arbre sous lequel Bouddha méditait au sixième siècle avant notre ère. L’entrée du temple, et des jardins des alentours, est jalousement gardée par une série de soldats armés. Sont interdits dans l’enceinte: les chaussures (logique), les appareils photos (compréhensible) et… les téléphones portables (qui sont conservés dans une consigne spéciale). Rien ne doit en effet troubler la quiétude des lieux qui vous enveloppe dès que vous franchissez (enfin) la porte d’entrée.
Dans un premier temps, seuls les chants des moines berçaient nos pas. Et puis, comme pour nous rappeler que la pluralité religieuse règne en Inde, l’appel à la prière musulmane a fendu les airs, et les cris des Hindus célébrant un mariage à proximité se sont joints à la fête. A peine sortis du temple Mahabodhi, nous avons été happés par les indiens qui gravitaient autour du mariage. Séance photo obligatoire… pas tant des mariés, mais plutôt de nous (comme nous commençons à en avoir l’habitude – what a hair style! May I take a picture plz?). Nous nous sommes rapidement éclipsés pour ne pas voler la vedette aux héros du jour.
Il faut dire que nous avons encore pas mal de temples à visiter. Chaque nation asiatique, dont les ressortissants pratiquent le Bouddhisme, a érigé son propre temple à Bodhgaya. Il fut un temps ou les pèlerins y étaient nourris, logés et blanchis. Ne subsistent aujourd’hui que les temples en eux-même, dont la visite rappelle curieusement le « mini-Europe » de Bruxelles, ou un Disneyland du Bouddhisme. L’architecture des différents monuments est fidèle au style des pays qui les ont bâti. Un tour du monde sur quelques dizaines de kilomètres carrés. Pourquoi nous embêtons-nous avec les trains, pour parcourir des distances folles?
Nous nous reposerons cette question à plusieurs reprises: notre prochain train, réservé au prix de nombreux efforts, est annoncé avec… 3h de retard. Rien de surprenant selon les standards indiens.