Nous avons passé deux mois en Equateur, un pays à peine quatre fois plus grand que la Belgique, et vous avez été nombreux à nous demander « toujours à Quito ? », « pourquoi prenez-vous autant de temps pour parcourir ce pays ? », « quand reprenez-vous la route du nord ? ».
Pour comprendre la raison pour laquelle nous avons prolongé notre séjour en Equateur, il faut remonter le temps. Le 2 aout 2015, des centaines d’indigènes ont entamé une marche de protestation qui les mènera jusque Quito, la capitale. En chemin, ils ont rallié à leur cause les mouvements ouvriers, ainsi que de nombreux citoyens, inquiets du projet du président Correa de modifier la constitution en vue de multiplier le nombre de mandats présidentiels cumulables. Les manifestants réclamaient aussi la modification de la loi de l’eau et de la terre, favorisant l’exploitation de celles-ci au détriment des communautés locales. Le 13 aout, alors que les manifestants arrivaient à Quito, des violences ont éclaté entre la foule et les forces de l’ordre.
Nous sommes arrivés en Équateur début septembre, à un moment clé pour le pays.
Après 8 ans ans de présidence, Raphael Correa est en disgrâce. Le modèle socialiste progressiste qu’il promouvait est en faillite : adieu les promesses de protection des ressources naturelles (et bonjour les entreprises pétrolières et minières), adieu le respect de l’autonomie des communautés indigènes, et adieu la liberté d’expression. La constitution de 2008, saluée au niveau international pour sa modernité, a rapidement déçu, car elle n’a jamais vraiment été mise en œuvre.
Ce qui a par contre été mis en place, et de manière très efficace, c’est la répression. Face à l’opposition, Correa fait usage de l’attirail du parfait dictateur : corruption, copinage, manipulation, et pressions directes ou indirectes sur les opposants.
Nous avons nous même expérimenté ces mesures d’intimidation. A peine arrivés à la manifestation du mois d’octobre, une demi-douzaine de policiers nous ont encerclés et ont exigé que nous présentions nos passeports. Notre présence sur les lieux a été enregistrée. A nos questions pressantes, un agent a finalement répondu que nous étions des « éléments potentiellement subversifs ». Nous n’avons récupéré nos documents d’identité qu’avec l’aide d’Équatoriens, venus s’enquérir de notre sort. Nous avons ensuite été, comme tout manifestant, filmés par des drones et photographiés par des militaires postés en haut des buildings avec des téléobjectifs. Nous étions fichés, simplement parce que nous avions marché quelques kilomètres avec les indignés.
Correa a su s’entourer d’hommes de confiance. Il a ainsi réformé l’armée (le chef des armées qui prendra ses fonctions en mars prochain est un supporter indéfectible du Président), le pouvoir judiciaire (la Cour constitutionnelle est maintenant entièrement à sa solde), les syndicats (créant des syndicats parallèles aux syndicats originels, avec comme objectif de diviser le mouvement), et le monde des médias (les grands journaux appartiennent à présent à des proches du pouvoir, à l’exception de « La Hora »).
Parallèlement à ce régime de force, les dépenses dans le domaine social ont été drastiquement réduites : les interventions « soins de santé » diminuent tout comme le montant des pensions de retraite, et les subsides pour le gaz et l’électricité.
Plusieurs associations tentent, malgré la répression, de fédérer les opposants, d’assister les victimes et de penser à l’Équateur de demain. L’Observatoire de Justice et des droits des peuples indigènes fait partie de ces acteurs. Son objectif est double : dénoncer la criminalisation des mouvements sociaux (lire : les arrestations arbitraires et autres intimidations lors de manifestations ou réunions) et penser à un système permettant la cohabitation de la justice indigène et de la justice traditionnelle.
Dans le cadre des travaux de l’Observatoire, nous avons eu la chance de nous entretenir avec des avocats équatoriens, des leaders indigènes, des profs d’unif, des délégués syndicaux, des défenseurs des Droits de l’Homme et d’autres militants. Ces rencontres nous ont permis d’appréhender les cultures locales, et de cerner les enjeux des mouvements sociaux actuels.
En bons Européens qui devaient « produire » quelque chose, nous nous sommes mis au travail. Julien a créé une maquette du site internet de l’Observatoire, a donné des cours d’informatique aux syndicats de l’opposition et a mis en place une base de données permettant de reporter les cas de criminalisation du mouvement social. Sur le plus long terme, nous comptons sur une coopération à distance, afin de médiatiser les problèmes équatoriens trop absents de nos médias.
Si nous devions résumer notre expérience équatorienne, et vous faire passer un unique message, ce serait celui-ci : informez-vous. Informez-vous sur la situation politico-sociale en Équateur, sur les événements du monde ; consultez des blogs et des médias alternatifs afin de vous forger votre propre opinion, et puis répandez l’information par vos propres moyens. La démocratie, c’est bien plus qu’un concept, ça devrait être le quotidien de chaque Homme.
Bravo pour cet article très intéressant.
Effectivement, on croit à tort que la démocratie est un acquis définitif alors que c’est très fragile.
C’est un débat très actuel en Europe car comment garder un équilibre démocratique en renforçant la sécurité des citoyens tout en gardant nos libertés de mobilisation, d’expression…etc
Cette démocratie peut vite s’égratigner.
S’informer autrement, c’est une excellente idée pour ici et pour ailleurs, pour hier, pour aujourd’hui et pour demain.
Je suis très fière de vos engagements et de vos convictions.
Bonjour à tous les deux et merci pour votre article !
Comme vous le savez, nous vivions en Équateur en 2013. L’époque était encore à la liesse autour de Correa, un des premiers à avoir osé braver l’emprise américaine sur le continent, à prôner une reconnaissance de l’identité indigène, à développer une conscience écologique et à promouvoir le « buen vivir ». Déjà à ce moment-là, nous mettions en garde nos quelques lecteurs contre la potentielle dérive autocratique du personnage mais n’imaginions que de telles dérives puissent survenir.
A l’époque, la Hora était le journal des élites économiques de Guayaquil, dans l’opposition certes, mais surtout connu pour être à la solde des plus grands groupes régionaux dans une lutte contre les mouvements sociaux et pour un conservatisme teinté de conflits d’intérêt. En 2013 nous parlions déjà de risque sur l’indépendance des médias mais tous ceux qui sont tombés dans la mains de fer de Corréa étaient encore largement indépendants et critiques.
Je garde le souvenir d’un pays dynamique, socialiste au sens noble du terme, où tous les espoirs venaient rencontrer des politiques à l’écoute et volontaires. Hélas même au sein d’une démarche progressiste les leaders ont toujours du mal à lâcher leur siège et les institutions, si démocratiques soient-elles, sont toujours à la merci d’une personnalisation du pouvoir.
Tout peut changer très vite, en quelques mois à peine, et j’espère que les Européens sauront s’en souvenir.
Ça me fait plaisir de voir que les peuples continuent de dénoncer et de se lever contre les systèmes qui les privent de leurs droits, malgré les dangers que ça représente. Et ça me fait penser qu’à force de dénoncer et de râler sur les réseaux sociaux, chez nous, on oublie peut-être d’en parler de vive voix, on oublie qu’en se retroussant les manches, on peut peut-être aussi faire avancer les choses.
En tout cas, merci pour cet article, je diffuse !! Et bravo à vous d’avoir pris le temps de rester aux côtés de la population équatorienne, de comprendre ce qui se passait, et de mettre la main à la pâte pour répondre à leurs demandes !
(Sinon, rien à voir, vous venez quand à Rennes ?! 😉 )
Salut les jeunes. Quand l’Homme deviendra-t-il Sage, Homme et Amour???? Bravo à vous.