Lagunas – notre côté aventurier piqué au vif

En posant les pieds sur le continent sud-américain, nous avions formulé le souhait de profiter pleinement de l’ensemble de ses ressources naturelles : de la plage à la montagne, en passant par ce que nous appelions indistinctement « la jungle ».

La grande question était de savoir dans quel pays, et à quel moment, nous partirions à l’aventure dans la jungle. La forêt amazonienne s’étend en effet sur pas moins de neuf pays, dont la Bolivie, le Pérou, l’Equateur et la Colombie. Nous avons reçu un fameux coup de pouce de Gaëlle et Denis, un couple d’amis qui a parcouru l’Amérique du Sud il y a bientôt un an, et qui nous a refilé leur bon plan : une excursion dans la Selva depuis Lagunas, au Pérou.

Qui dit Selva, dit réserve naturelle, en opposition totale avec « route goudronnée qui vous conduit directement là où vous désirez vous rendre ». Pour rejoindre le point de départ de notre escapade, nous avons dû emprunter un bus de nuit (14h), puis un 4×4 (3h), puis un bateau (6h), et enfin un moto-taxi (30 min). Bref, l’aventure commençait bien avant l’entrée de la réserve.

Nous n’en avons pas l’habitude, mais sous les conseils de Gaëlle, nous nous sommes adressés à une agence pour organiser notre séjour dans la réserve. Impossible de toute façon de s’aventurer dans la jungle sans un accompagnateur multi-tâches (guide-conducteur de pirogue-cuisinier). Au final, nous avons été chouchoutés par l’agence Huayruro et notre guide Llefry, comme s’ils s’étaient donnés pour mission de nous convertir pour le reste de notre voyage aux excursions gérées par les professionnels ! Nos cinq jours dans la Selva se sont révélés être cinq jours de vacances dans les vacances. Bref, du plaisir à l’état pur.

A commencer par la prise en charge à notre arrivée à Lagunas après un marathon de transports : Llefry nous attendait au port (ou devrais-je dire : est monté à bord du bateau pour se présenter et nous prendre en charge). Il nous a conduit à l’agence pour régler les derniers détails, et puis à l’auberge réservée par ses soins pour que nous prenions nos quartiers. Le lendemain matin, il nous a accompagnés sur le chemin inverse : de l’auberge à l’agence, où nous attendait un petit déjeuner de rois : bananes frites, œufs, pains, confiture et café. Miguel, le responsable de l’agence, sa femme et Llefry nous ont accompagnés, à leur manière. Leur menu était sensiblement différent : soupe de poisson et bananes cuites à l’eau.

Moins d’une heure plus tard, un moto-taxi nous a déposés, nous et tout notre chargement, à l’entrée de la réserve naturelle. Nous emportions avec nous un de nos sacs-à-dos, deux matelas, des bottes en caoutchouc, des vivres pour cinq jours, une canne à pêche et un harpon.

Après avoir chargé une pirogue avec notre matériel, nous sommes montés à son bord et avons pris la direction du cœur de la forêt. L’utilisation des moteurs dans la réserve est strictement réservée aux gardes et aux membres des communautés vivant à plus de 3 jours de bateau (à moteur) de Lagunas (15 jours à la rame). Nous avancions donc à la seule force des bras de Llefry qui ramait avec calme, comme si cela ne représentait aucun effort pour lui.

Il ne nous a pas fallu une heure de pirogue pour que nous réalisions à quel point l’ambiance de la Selva nous envoûtait. Et de nous promettre que nous nous rappellerons ces moments à notre retour en Europe, en période de stress intense. Avancer en pirogue au fil de l’eau, au son du chant des oiseaux et du vent dans les arbres, était féerique.

Le mode de vie proposé par Llefry pour ces cinq jours était tout à fait en phase avec notre état d’esprit. Tout à fait libres quant au choix des activités et des menus, nous avons opté pour l’aventure brute : la pêche quotidienne et la préparation de la popote ensemble.

Plutôt qu’un guide et deux touristes, nous avons rapidement formé une équipe gagnante à trois, ce qui a véritablement dopé notre apprentissage de l’espagnol. Après un jour à peine, nous philosophions dans la langue locale sur l’impact de la construction d’une route vers Lagunas (actuellement uniquement accessible en bateau), sur l’écologie au Pérou et sur le mode de vie ancestral des habitants de la Selva. Comme souvent durant notre voyage, nous nous enthousiasmions pour le savoir-faire local, souvent perdu en Europe.

Mais la Selva, ce n’est pas que la bricole avec deux bouts de bois et une liane. C’est aussi, et surtout, le milieu naturel de nombreux oiseaux, singes et reptiles.

Llefry, l’œil alerte, localisait les animaux avec une facilité surprenante, même lorsqu’ils étaient situés à des dizaines de mètres de nous : perroquets, aigles, toucans, singes, paresseux, loutres, tortues, et serpents étaient notamment au rendez-vous.

Non contents d’observer les tortues, nous sommes passés à l’action en participant au programme de l’agence de protection de leurs œufs. De nombreux prédateurs sont en effet friands de ses petites boules blanches, ce qui menace la reproduction des reptiles.

Nous avons été particulièrement chanceux en débusquant un boa sortant de la rivière. Enivré par sa découverte, Llefry a saisi la queue de l’animal afin de mesurer sa longueur (4-5m) avant de la poser au creux de notre paume. La force de l’animal est perceptible. Nous ne faisions pas les malins, et avons calmement reposé notre trésor sur le sable. Il ne faudrait pas qu’il s’enroule autour de nos membres ni qu’il ne nous morde: le prochain centre de santé est à plus d’une journée de barque de notre localisation.

Llefry a illustré à nouveau son agilité et son courage lors d’une expédition de nuit en pirogue. Alors que nous admirions paisiblement les oiseaux nocturnes pêcher, nous nous sentions observés par des dizaines de paires d’yeux, plus ou moins discrètes. Nous étions entourés de crocodiles dont un spécimen de 3 mètres assez impressionnant, posé sur la rive.

A un moment donné, Llefry a arrêté la barque sur un banc de sable, a retiré ses chaussures, et est descendu de l’embarcation, nous abandonnant à notre sort. Après moins de cinq minutes, il est revenu, victorieux… un bébé crocodile dans les mains. Nous avons tous deux eu l’occasion de prendre la bête à bout de bras, avant qu’un quiproquo ne force Julien à relâcher le croco DANS la pirogue, ce qui ne faisait pas partie du programme. A la lumière de nos lampes frontales, Llefry a repris l’animal en charge, avant de le relâcher, ce qui a eu pour effet de nous soulager tous les quatre (Llefry, Ju, le crocodile et moi).

Ce qui par contre faisait partie du programme, c’était la balade à pied dans la Selva. Nous sommes partis le lendemain de bonne heure, équipés de bottes, d’une machette et de bâtons. La forêt était incroyablement humide, au point d’y trouver des escargots et des crabes !

Les singes saluaient notre passage en agitant les arbres, et les papillons (mariposas) ne se posaient qu’une demi-seconde, évitant ainsi l’objectif de Julien. Outre les animaux qui jouaient efficacement à cache-cache avec l’appareil photo, nous avons été emportés par l’ambiance mystique qui régnait dans la forêt.

Llefry était clairement dans son élément : commentant les propriétés des plantes rencontrées (souvent utilisées par les chamans), il nous faisait goûter les fruits de l’un ou l’autre arbre. Sous nos yeux intrigués, il a sectionné une liane afin d’étancher notre soif.


Et c’est après deux heures et demie de marche que la pluie a fait son apparition. Il paraît que ça fait partie des charmes de la forêt amazonienne. Il est vrai que le décor était soudainement différent. Et pour les petits Belges que nous sommes, la gadoue et la pluie nous ont fait nous sentir à la maison !

De retour à notre deuxième campement, nous étions couverts de boue, jusqu’aux hanches.

La solution a été radicale : retirer les pantalons pour les laver à l’eau de pluie, à présent abondante. Julien a poussé le plaisir jusqu’à se mettre en petite tenue, sous la gouttière, afin de prendre une douche nature. Entourée uniquement d’hommes, j’ai opté pour le « quick wash » bassine à l’abri des regards.

Notre premier campement était assez étendu : une dizaine de chambres montées sur pilotis étaient reliées par un réseau de ponts en bois (qui paraissaient un peu ridicules à cette époque de l’année : c’est l’été, et la rivière est relativement basse). Les lieux étaient assez fréquentés, dans la mesure où le campement était proche de l’entrée de la réserve ; fréquentés par quelques touristes, et par des centaines de moustiques qui adorent la peau blanche.

Notre second campement était quant à lui perdu à une journée en bateau du premier. Seul un garde était présent sur place. En tout petit comité, nous nous y sentions comme à la maison, même si nous n’avions ici ni chambre ni douche (nos matelas étaient posés à même le sol, sous un moustiquaire, dans les parties communes d’une cabane montée sur pilotis).

Alors que Llefry et Joël, le garde, nous ont initié à la pêche aux piranhas à la canne à pêche pour le souper, nous leur avons préparé du pain perdu pour le petit déj’.

Joël ne tarissait pas d’éloge sur nos talents culinaires (relativement basiques, lorsqu’on sait comment se prépare le pain perdu). Du coup, le lendemain, nous avons repris du service. Tous deux ont voulu mettre la main à la pâte. Nous avons parié que le petit déjeuner « pain perdu » serait bientôt un classique des tours dans la Selva !

Il était déjà temps de reprendre le chemin du retour, non sans s’arrêter en chemin dans des cabanes délabrées pour préparer, sur le feu, nos almuerzos (dîners) et nos cenas (soupers), invariablement composés de poisson, pour notre plus grand plaisir.

Fortement impressionné par les talents de pêcheur de Llefry, capable de capturer un poisson au harpon en lançant l’arme jusqu’à cinq mètres de la pirogue, Julien a voulu tenter l’expérience.


Après avoir filmé une dizaine de tentatives de pêche au harpon par Ju, je vous avoue avoir abandonné la partie. Et c’est précisément lorsque j’ai déposé l’appareil photo qu’il a sorti son plus beau lancer et a capturé un poisson-chat d’une taille honorable. Mission réussie !

Pendant ce temps, je lavais et vidais les poissons, avant de les cuisiner avec Llefry selon des méthodes sans cesse différentes (ce qui n’était pas sans me rappeler les épisodes de pêche familiale d’il y a une vingtaine d’années à Sivry).

Je pense que nous aurions pu rester dans la Selva quelques jours supplémentaires sans épuiser notre curiosité et notre émerveillement permanents. Mais il n’y a pas que dans la Selva que notre soif de découvertes peut être étanchée. De retour à Lagunas, Llefry nous a emmenés dans une fête locale afin de nous faire goûter la chicha de Yuca (manioc). Nous en avions parlé durant notre séjour en forêt et en avions fait un sujet de plaisanterie entre nous : cap ou pas cap de boire cette chicha, préparée de manière très particulière ? Cap ! Et pourtant, le mode de préparation ne fait pas rêver : les femmes mâchent le manioc pour l’assouplir, avant de le recracher dans une casserole où marinent l’eau et les épices. On laisse ensuite le tout fermenter quelques jours, avant de le servir à volonté dans des fêtes populaires.

Notre présence à une de ces fêtes est loin d’être passée inaperçue, même si Llefry avait pris soin de nous présenter aux propriétaires. Les hommes défilaient pour demander à Julien s’il acceptait que je danse avec eux. Ces danses ont fourni à Ju le prétexte nécessaire pour sortir l’appareil photo et immortaliser l’ambiance qui régnait sur place. Après deux chichas, et de nombreux refus de danses (sinon, je pense que j’y serais encore), nous avons prudemment quitté les lieux.


Nous avons ensuite quitté Lagunas, et rebobiné le fil des transports empruntés une petite semaine plus tôt : bateau, « collectivos » (camionnette véhiculant 18 personnes serrées comme des sardines, plus le conducteur) et bus.

Direction : Chachapoya. Nous nous rapprochons de la frontière équatorienne, que nous traverserons d’ici quelques jours. Le temps de visiter un dernier site pré-hispanique au Pérou.

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8 réflexions sur « Lagunas – notre côté aventurier piqué au vif »

  1. Waouw que d’aventures! J’en resterais bouche bée.
    Vos photos sont toujours aussi magnifiques et les articles qui les accompagnent toujours aussi bien rédigés. Pour avoir vu l’envers du décor, je sais que ça vous prend du temps mais ça vaut le coup. On n’en perd pas une miette ici 🙂
    Pleeeeiiiin de bisous.

  2. Je dirais même plus : waouw waouw. Que de merveilles que vous nous partagez.! Merci. Très chouette de voir des vidéos et génial la balançoire sur une liane.

    Bisous

  3. Héhé après la lecture de cette brève, je vais être obligée d’aller dans la selva en janvier :p (mais c’était déjà prévu). Gros bisous à vous deux et encore merci de prendre le temps d’écrire ces brèves qui nous plongent dans votre monde fantastique :p

  4. Hihihi c’est vrai que de voir les vidéos ça nous plonge un peu plus dans le décor et on a un peu plus l’impression d’être à vos côtés!!! 😀 Quelle aventure merveilleuse… Plein de gros bisous à vous deux!

  5. Magnifique récit. Je viens de m’évader avec vous. Quelle belle aventure. Merci. Encore de très jolies photos. Que du plaisir vos nouvelles. Bisous

  6. Pour la première fois j’ai une connexion qui me permet de regarder les photos, et je suis tombée sur le bon article …. WAOW, tous ces animaux, ces oiseaux, c’est magnifique !! Ici, je croise de nouveaux animaux que je n’avais plus l’habitude de voir, 2 espèces bien différentes de celles que vous voyez là-bas : les profs et les étudiants ! Dur retour à la vie, mais je reste en voyage avec vous ! 😉

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