Nous avons passé beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de temps que prévu au Pérou. Au 49ème réveil péruvien, nous avons décidé qu’il était l’heure de reprendre la route vers le nord, vers l’Equateur.
Depuis Chachapoyas, il y a deux moyens de rejoindre la frontière : en rejoignant la côte, ou en restant dans les terres. La première route est plate et droite, et parcourue par un bus unique, la deuxième est accidentée et sinueuse, et différents transports se relayent sur les 300 km de trajet. Est-ce le plaisir d’être serrés comme des sardines à l’arrière d’une camionnette ? Ou de tester la résistance de notre estomac ? Sans suspense, nous nous sommes tourné vers… la seconde option.
Ce parcours était découpé comme suit : Chachapoyas – San Pedro (en mini-van, 1h30), San-Pedro – Bagua Grande (en mini-van, 1h), Bagua Grande – Jaen (en mini-van, 1h), Jaen – San Ignacio (à deux, à l’avant d’un taxi, 2h), et enfin San Ignacio – La Balsa (dans le coffre d’un taxi, 1h).
Les paysages traversés nous rappellent curieusement certains panoramas d’Asie : rizières, végétation tropicale et collines en arrière-plan.
Nous avons réparti le « plaisir d’être serrés comme des sardines » sur deux jours, et avons passé une nuit à Jaen, dans un hôtel miteux à coté du terminal de taxi. Alors que la nuit était déjà bien avancée, nous avons déposé nos sacs dans la chambre (qui disposait d’une curieuse ouverture donnant directement sur le toit), et nous nous sommes mis en quête de nourriture. Jaen est décrite dans le Lonely Planet 2015 comme « un centre agricole en expansion qui possède une mauvaise réputation liée à la délinquance et à un grave problème de dengue». Bref, ça ne nous donnait pas spécialement envie de parcourir la ville de nuit, à la recherche d’un casse-croûte. Nous avons trouvé une minuscule « tienda » (magasin de quartier), animé par deux clients complètement ivres, et avons dévalisé les rayons : pain, carotte, pomme, jus de fruit… notre dernier festin péruvien (qui ne reflète absolument pas la richesse culinaire du pays que nous nous apprêtons à quitter).
Une courte visite à la station essence renforce nos craintes sécuritaires: un garde armé est posté à coté de chaque pompe.
Le lendemain, nous nous sommes réveillés aux aurores pour poursuivre notre route, de Jaen à La Balsa, la frontière. Nous étions assez fiers du résultat de notre « rallye transports » puisqu’à 10h30 nous étions face au « pont de l’amitié », séparant le Pérou de l’Équateur.
Le hic, c’est que pour passer ce fameux pont, notre passeport devait être décoré d’un cachet de sortie. Or, le bureau de l’immigration était désert. Les policiers présents sur place avaient chacun une explication : l’employé était aux toilettes, était parti manger et reviendrait à midi, voire même « était parti en Équateur » (le comble). Bref, il fallait attendre…
C’est finalement vers midi que nous avons obtenu le précieux sésame de sortie du côté péruvien, et d’entrée du côté équatorien. Nous qui pensions en avoir fini avec les véhicules à 4 roues de tous types, nous nous trompions : un camion vaguement réaménagé en bus (lisez: un camion dont la benne contient une dizaine de planches faisant office de bancs) nous attendait pour nous conduire vers Zumba, et puis Vilcabamba.
Nous voici donc à Chachapoyas, une petite ville sympathique qui nous permettra de faire notre dernier détour par un parc archéologique renommé.
Pour la petite histoire, Chachapoyas a été le lieu où la civilisation du même nom prospéra du VIème siècle après J-C jusqu’à l’arrivée des Incas au XVème siècle. Ce peuple semblait assez indépendant des autres civilisations contemporaines et était surtout connu pour son habilité à faire la guerre. Suite à la visite du petit musée de Chachapoyas, nous sommes en tout cas convaincus que la poterie n’a pas été leur fort. Aucune comparaison n’est possible avec la finesse de l’art Moche par exemple. Par contre, leur technique de momification semble très au point !
L’on sait très peu de chose sur ce «peuple des nuages», mais nous nous rendons en tout cas compte que les alentours de Chachapoyas méritent à eux seuls plusieurs semaines d’exploration : de nombreux trésors archéologiques peu visités s’y cachent. Au vu de notre état de fatigue et de notre envie d’arriver en Équateur dès que possible, nous optons pour une excursion d’une journée à Kuélap.
Il nous était difficile de quitter le pays sans faire un saut là-bas. Il s’agit effectivement du site pré-inca le plus important du pays. La citadelle semble impressionnante : 600 mètres de long par 110 m de large. Certains osent même la comparer au Macchu Pichu ! Petit plus, la difficulté pour y accéder le préserve d’un flot de touristes trop important.
Arrivés sur place, on tombe nez-à-nez avec le mur d’enceinte, haut d’environ 20 m et construit avec la pierre de la région. On s’interroge sur la méthode suivie pour amener autant de blocs de cette taille à une telle altitude (3000 m). On note également que, à l’inverse des Incas, les Chachapoyas utilisaient de l’adobe pour combler les interstices entre les différents éléments du mur.
En empruntant une des 3 portes d’entrée, nous arrivons au cœur de l’ancienne cité. Les restes d’environ 400 habitations s’étalent sous nos yeux ébahis. Les Chachapoyas les construisaient de manière cylindrique et l’on suppose que les toits étaient construits en chaume. Le spectacle de ces maisons hors du commun qui tentent de respirer dans la végétation qui les envahit, ainsi que le spectacle des vallées en contrebas, est tout simplement époustouflant.
Des décorations en forme de serpents et d’yeux de félin apparaissent sur certaines maisons. Les Chachapoyas semblaient avoir de temps en temps le souci du détail et de l’esthétique.
Certains édifices plus imposants que les autres devaient avoir des rôles particuliers. On y a d’ailleurs découvert des squelettes d’animaux décapités qui indiquent que des rites y étaient pratiqués. Au vu des bâtisses, les Chachapoyas étaient des architectes assez intéressants !
Autre détail troublant : dans de nombreuses maisons, des cavités ont été creusées en leur centre… Des momies y ont été retrouvées. Les habitants vivaient-ils avec, sous leurs pieds, leurs ancêtres ou les occupants précédents ?
Nous quittons les lieux en décidant que nous redescendrons dans la vallée à pied. 2h30 plus tard, nous avions dévalé environ 1600 m et étions prêts à rejoindre Chachapoyas pour l’une de nos dernières nuits au Pérou !
En posant les pieds sur le continent sud-américain, nous avions formulé le souhait de profiter pleinement de l’ensemble de ses ressources naturelles : de la plage à la montagne, en passant par ce que nous appelions indistinctement « la jungle ».
La grande question était de savoir dans quel pays, et à quel moment, nous partirions à l’aventure dans la jungle. La forêt amazonienne s’étend en effet sur pas moins de neuf pays, dont la Bolivie, le Pérou, l’Equateur et la Colombie. Nous avons reçu un fameux coup de pouce de Gaëlle et Denis, un couple d’amis qui a parcouru l’Amérique du Sud il y a bientôt un an, et qui nous a refilé leur bon plan : une excursion dans la Selva depuis Lagunas, au Pérou.
Qui dit Selva, dit réserve naturelle, en opposition totale avec « route goudronnée qui vous conduit directement là où vous désirez vous rendre ». Pour rejoindre le point de départ de notre escapade, nous avons dû emprunter un bus de nuit (14h), puis un 4×4 (3h), puis un bateau (6h), et enfin un moto-taxi (30 min). Bref, l’aventure commençait bien avant l’entrée de la réserve.
Nous n’en avons pas l’habitude, mais sous les conseils de Gaëlle, nous nous sommes adressés à une agence pour organiser notre séjour dans la réserve. Impossible de toute façon de s’aventurer dans la jungle sans un accompagnateur multi-tâches (guide-conducteur de pirogue-cuisinier). Au final, nous avons été chouchoutés par l’agence Huayruro et notre guide Llefry, comme s’ils s’étaient donnés pour mission de nous convertir pour le reste de notre voyage aux excursions gérées par les professionnels ! Nos cinq jours dans la Selva se sont révélés être cinq jours de vacances dans les vacances. Bref, du plaisir à l’état pur.
A commencer par la prise en charge à notre arrivée à Lagunas après un marathon de transports : Llefry nous attendait au port (ou devrais-je dire : est monté à bord du bateau pour se présenter et nous prendre en charge). Il nous a conduit à l’agence pour régler les derniers détails, et puis à l’auberge réservée par ses soins pour que nous prenions nos quartiers. Le lendemain matin, il nous a accompagnés sur le chemin inverse : de l’auberge à l’agence, où nous attendait un petit déjeuner de rois : bananes frites, œufs, pains, confiture et café. Miguel, le responsable de l’agence, sa femme et Llefry nous ont accompagnés, à leur manière. Leur menu était sensiblement différent : soupe de poisson et bananes cuites à l’eau.
Moins d’une heure plus tard, un moto-taxi nous a déposés, nous et tout notre chargement, à l’entrée de la réserve naturelle. Nous emportions avec nous un de nos sacs-à-dos, deux matelas, des bottes en caoutchouc, des vivres pour cinq jours, une canne à pêche et un harpon.
Après avoir chargé une pirogue avec notre matériel, nous sommes montés à son bord et avons pris la direction du cœur de la forêt. L’utilisation des moteurs dans la réserve est strictement réservée aux gardes et aux membres des communautés vivant à plus de 3 jours de bateau (à moteur) de Lagunas (15 jours à la rame). Nous avancions donc à la seule force des bras de Llefry qui ramait avec calme, comme si cela ne représentait aucun effort pour lui.
Il ne nous a pas fallu une heure de pirogue pour que nous réalisions à quel point l’ambiance de la Selva nous envoûtait. Et de nous promettre que nous nous rappellerons ces moments à notre retour en Europe, en période de stress intense. Avancer en pirogue au fil de l’eau, au son du chant des oiseaux et du vent dans les arbres, était féerique.
Le mode de vie proposé par Llefry pour ces cinq jours était tout à fait en phase avec notre état d’esprit. Tout à fait libres quant au choix des activités et des menus, nous avons opté pour l’aventure brute : la pêche quotidienne et la préparation de la popote ensemble.
Plutôt qu’un guide et deux touristes, nous avons rapidement formé une équipe gagnante à trois, ce qui a véritablement dopé notre apprentissage de l’espagnol. Après un jour à peine, nous philosophions dans la langue locale sur l’impact de la construction d’une route vers Lagunas (actuellement uniquement accessible en bateau), sur l’écologie au Pérou et sur le mode de vie ancestral des habitants de la Selva. Comme souvent durant notre voyage, nous nous enthousiasmions pour le savoir-faire local, souvent perdu en Europe.
Mais la Selva, ce n’est pas que la bricole avec deux bouts de bois et une liane. C’est aussi, et surtout, le milieu naturel de nombreux oiseaux, singes et reptiles.
Llefry, l’œil alerte, localisait les animaux avec une facilité surprenante, même lorsqu’ils étaient situés à des dizaines de mètres de nous : perroquets, aigles, toucans, singes, paresseux, loutres, tortues, et serpents étaient notamment au rendez-vous.
Non contents d’observer les tortues, nous sommes passés à l’action en participant au programme de l’agence de protection de leurs œufs. De nombreux prédateurs sont en effet friands de ses petites boules blanches, ce qui menace la reproduction des reptiles.
Nous avons été particulièrement chanceux en débusquant un boa sortant de la rivière. Enivré par sa découverte, Llefry a saisi la queue de l’animal afin de mesurer sa longueur (4-5m) avant de la poser au creux de notre paume. La force de l’animal est perceptible. Nous ne faisions pas les malins, et avons calmement reposé notre trésor sur le sable. Il ne faudrait pas qu’il s’enroule autour de nos membres ni qu’il ne nous morde: le prochain centre de santé est à plus d’une journée de barque de notre localisation.
Llefry a illustré à nouveau son agilité et son courage lors d’une expédition de nuit en pirogue. Alors que nous admirions paisiblement les oiseaux nocturnes pêcher, nous nous sentions observés par des dizaines de paires d’yeux, plus ou moins discrètes. Nous étions entourés de crocodiles dont un spécimen de 3 mètres assez impressionnant, posé sur la rive.
A un moment donné, Llefry a arrêté la barque sur un banc de sable, a retiré ses chaussures, et est descendu de l’embarcation, nous abandonnant à notre sort. Après moins de cinq minutes, il est revenu, victorieux… un bébé crocodile dans les mains. Nous avons tous deux eu l’occasion de prendre la bête à bout de bras, avant qu’un quiproquo ne force Julien à relâcher le croco DANS la pirogue, ce qui ne faisait pas partie du programme. A la lumière de nos lampes frontales, Llefry a repris l’animal en charge, avant de le relâcher, ce qui a eu pour effet de nous soulager tous les quatre (Llefry, Ju, le crocodile et moi).
Ce qui par contre faisait partie du programme, c’était la balade à pied dans la Selva. Nous sommes partis le lendemain de bonne heure, équipés de bottes, d’une machette et de bâtons. La forêt était incroyablement humide, au point d’y trouver des escargots et des crabes !
Les singes saluaient notre passage en agitant les arbres, et les papillons (mariposas) ne se posaient qu’une demi-seconde, évitant ainsi l’objectif de Julien. Outre les animaux qui jouaient efficacement à cache-cache avec l’appareil photo, nous avons été emportés par l’ambiance mystique qui régnait dans la forêt.
Llefry était clairement dans son élément : commentant les propriétés des plantes rencontrées (souvent utilisées par les chamans), il nous faisait goûter les fruits de l’un ou l’autre arbre. Sous nos yeux intrigués, il a sectionné une liane afin d’étancher notre soif.
Et c’est après deux heures et demie de marche que la pluie a fait son apparition. Il paraît que ça fait partie des charmes de la forêt amazonienne. Il est vrai que le décor était soudainement différent. Et pour les petits Belges que nous sommes, la gadoue et la pluie nous ont fait nous sentir à la maison !
De retour à notre deuxième campement, nous étions couverts de boue, jusqu’aux hanches.
La solution a été radicale : retirer les pantalons pour les laver à l’eau de pluie, à présent abondante. Julien a poussé le plaisir jusqu’à se mettre en petite tenue, sous la gouttière, afin de prendre une douche nature. Entourée uniquement d’hommes, j’ai opté pour le « quick wash » bassine à l’abri des regards.
Notre premier campement était assez étendu : une dizaine de chambres montées sur pilotis étaient reliées par un réseau de ponts en bois (qui paraissaient un peu ridicules à cette époque de l’année : c’est l’été, et la rivière est relativement basse). Les lieux étaient assez fréquentés, dans la mesure où le campement était proche de l’entrée de la réserve ; fréquentés par quelques touristes, et par des centaines de moustiques qui adorent la peau blanche.
Notre second campement était quant à lui perdu à une journée en bateau du premier. Seul un garde était présent sur place. En tout petit comité, nous nous y sentions comme à la maison, même si nous n’avions ici ni chambre ni douche (nos matelas étaient posés à même le sol, sous un moustiquaire, dans les parties communes d’une cabane montée sur pilotis).
Alors que Llefry et Joël, le garde, nous ont initié à la pêche aux piranhas à la canne à pêche pour le souper, nous leur avons préparé du pain perdu pour le petit déj’.
Joël ne tarissait pas d’éloge sur nos talents culinaires (relativement basiques, lorsqu’on sait comment se prépare le pain perdu). Du coup, le lendemain, nous avons repris du service. Tous deux ont voulu mettre la main à la pâte. Nous avons parié que le petit déjeuner « pain perdu » serait bientôt un classique des tours dans la Selva !
Il était déjà temps de reprendre le chemin du retour, non sans s’arrêter en chemin dans des cabanes délabrées pour préparer, sur le feu, nos almuerzos (dîners) et nos cenas (soupers), invariablement composés de poisson, pour notre plus grand plaisir.
Fortement impressionné par les talents de pêcheur de Llefry, capable de capturer un poisson au harpon en lançant l’arme jusqu’à cinq mètres de la pirogue, Julien a voulu tenter l’expérience.
Après avoir filmé une dizaine de tentatives de pêche au harpon par Ju, je vous avoue avoir abandonné la partie. Et c’est précisément lorsque j’ai déposé l’appareil photo qu’il a sorti son plus beau lancer et a capturé un poisson-chat d’une taille honorable. Mission réussie !
Pendant ce temps, je lavais et vidais les poissons, avant de les cuisiner avec Llefry selon des méthodes sans cesse différentes (ce qui n’était pas sans me rappeler les épisodes de pêche familiale d’il y a une vingtaine d’années à Sivry).
Je pense que nous aurions pu rester dans la Selva quelques jours supplémentaires sans épuiser notre curiosité et notre émerveillement permanents. Mais il n’y a pas que dans la Selva que notre soif de découvertes peut être étanchée. De retour à Lagunas, Llefry nous a emmenés dans une fête locale afin de nous faire goûter la chicha de Yuca (manioc). Nous en avions parlé durant notre séjour en forêt et en avions fait un sujet de plaisanterie entre nous : cap ou pas cap de boire cette chicha, préparée de manière très particulière ? Cap ! Et pourtant, le mode de préparation ne fait pas rêver : les femmes mâchent le manioc pour l’assouplir, avant de le recracher dans une casserole où marinent l’eau et les épices. On laisse ensuite le tout fermenter quelques jours, avant de le servir à volonté dans des fêtes populaires.
Notre présence à une de ces fêtes est loin d’être passée inaperçue, même si Llefry avait pris soin de nous présenter aux propriétaires. Les hommes défilaient pour demander à Julien s’il acceptait que je danse avec eux. Ces danses ont fourni à Ju le prétexte nécessaire pour sortir l’appareil photo et immortaliser l’ambiance qui régnait sur place. Après deux chichas, et de nombreux refus de danses (sinon, je pense que j’y serais encore), nous avons prudemment quitté les lieux.
Nous avons ensuite quitté Lagunas, et rebobiné le fil des transports empruntés une petite semaine plus tôt : bateau, « collectivos » (camionnette véhiculant 18 personnes serrées comme des sardines, plus le conducteur) et bus.
Direction : Chachapoya. Nous nous rapprochons de la frontière équatorienne, que nous traverserons d’ici quelques jours. Le temps de visiter un dernier site pré-hispanique au Pérou.
Le lever du jour ne se fait jamais autant attendre qu’en arrivant dans un terminal de bus aux petites heures. Nous devons en effet patiemment attendre que la ville se réveille, que les rues s’éclairent et s’animent, afin de s’aventurer à l’extérieur.
Heureusement pour nous, Trujillo s’est réveillée avec les premiers rayons du soleil. A 6h du matin, nous avions l’impression qu’une bonne partie de la ville s’était donné rendez-vous sur le rond-point voisin au terminal pour y prendre son petit-dejeuner. Pris dans la mouvance, nous nous sommes assis devant une des gargotes pour avaler un jus de quinoa chaud, et quelques sandwichs à la tortilla.
Notre arrivée sur la Plaza de Armas a été saluée en musique, par un orchestre espagnol qui se produisait à l’air libre.
Le directeur du musée archéologique de Trujillo se cachait parmi les spectateurs. Amoureux de la Belgique, où il a voyagé, il tenait absolument à nous faire une faveur. Sortant un bout de papier de sa poche, il a rédigé un petit mot à l’attention de la secrétaire du musée: « Patricia, ces deux personnes sont mes amis. Ne leur fait pas payer de droit d’entrée ». Incrédules, nous avons emporté le papier et l’avons présenté, deux heures plus tard, à la jolie brune qui se tenait à l’entrée du musée. Bingo: Patricia nous a fait un grand sourire entendu en nous indiquant la première salle.
Julien a craqué pour le premier crâne « dreadeux » de l’histoire. Retournera-t-il à ses tendances capillaires d’adolescent?
Après avoir parcouru la théorie dans le musée, nous sommes passés à la pratique: la visite de Huaca del sol (de loin) et Huaca de la luna (de l’intérieur). Ces deux sites appartiennent à la civilisation Moche, qui peuplait la région du IIème au VIIIème siècle. Si la civilisation n’a pas eu beaucoup de goût pour choisir sa dénomination (en français du moins), elle s’est rattrapée sur la qualité de ses bas-reliefs polychromes.
Tous les 100 ans, les Moches rehaussaient leur centre de culte (le Huaca de la Luna), en remblayant les cavités du palais précédent pour construire la nouvelle battisse par-dessus. Durant leurs fouilles, les archéologues ont ainsi mis à jour pas moins de cinq niveaux de construction, décorés de manière identique, de siècle en siècle, par des représentations de la divinité de la montagne.
Le contenu de plusieurs tombes découvertes dans les environs enrichit par ailleurs un musée au pied des Huacas. Les photos y étaient cependant interdites, ce qui vous épargne de plus longs développements (ouf!). Notre photographe s’est par contre attardé sur les chiens sans poil qui peuplent le site. Ils auraient été utilisés comme bouillotte durant les froides nuits d’hiver (info ou intox? Impossible à vérifier…).
A quelques dizaines de kilomètres de là, un autre musée nous a introduit à la culture Chimu, qui succéda à la civilisation des Moches. Chan Chan, située dans les faubourgs de Trujillo, était la capitale des Chimus, et la plus grande ville précolombienne des Amériques construite en adobe (sorte de briques de sable).
On en retient surtout le palais Tschudi, le seul à avoir été restauré (parfois à l’excès… les archéologues voulant faire mieux que l’original).
D’autres sites mineurs sont perdus dans les campagnes environnantes. En jouant à Pekin Express avec pas moins de 4 mini-vans, nous avons exploré l’ensemble des ruines Chimus de la région.
De retour à Trujillo, nous avons retrouvé la place d’armes. Les rues du centre sont bordées de maisons coloniales qui rivalisent de beauté. Et pour renforcer la compétition, certaines d’entre elles ont été acquises par des banques et transformées en musée. Une belle façade pour ces institutions financières!
Le temps d’en faire le tour, la nuit était tombée.
Il était l’heure de retrouver notre cuisinière… derrière son échoppe de hamburgers. Elle a su fidéliser sa clientèle, puisqu’en deux jours à Trujillo, nous avons soupé à deux reprises sur son bout de trottoir. De quoi nous remplir l’estomac, et les méninges, avant de prendre la route pour Chiclayo.
Notre halte à Chiclayo était en effet assez intellectuelle: à peine arrivés dans la ville, nous avons pris un taxi partagé pour le musée Tumbas Reales de Sipan. Il contient les richesses découvertes dans les tombes de la Huaca Rajada en 1987 (cette fois, c’est mon heure -année- de gloire). Elles sont exposées sur par moins de trois étages, dans leur ordre de découverte. La particularité du musée, outre les objets qu’il présente, est de fournir de nombreuses explications sur le travail des archéologues, qui est d’ailleurs toujours en cours: d’autres tombes du complexe attendent d’être fouillées.
Après avoir avalé tant d’informations, nous avons sérieusement besoin de nous aérer l’esprit. Lagunas, notre prochaine destination, est idéale: située à l’entrée d’une réserve naturelle, elle constitue une excellente base pour explorer la jungle environnante.
Il y a plus d’un mois et demi, nous avions rencontré des randonneurs dans les rues de La Paz, en Bolivie. Sur un bout de trottoir, nous avions échangé nos bons plans rando. Un trek semblait alors incontournable au Pérou : le Santa Cruz, dans la Cordillère blanche.
Nous avons rapidement découvert la raison pour laquelle nous avons entendu parlé du Santa Cruz en dehors des frontières du Pérou : cette randonnée est super connue, et le trek en lui-même est très touristique. Les grosses villes environnantes sont donc des repères de randonneurs truffés d’agences de voyage, ce que nous abhorrons.
Nous avons donc posé nos sacs à dos à Caraz, une ville « point de départ » plus petite que ses voisines. Le jardin d’un petit hôtel a accueilli notre tente pour quelques Soles, la monnaie locale. Reculés dans notre cocon, nous avions une cuisine, des chaises longues et des arbres fruitiers à disposition. Un camping de luxe, en somme !
Notre préparation de trek est à présent bien rodée : en moins d’une demi journée, nous pouvons nous procurer les vivres et le matériel nécessaires pour vivre quatre jours en autonomie. Notre lieu de prédilection pour faire nos achats ? Le marché local.
C’est sur le marché que nous avons rencontré Suzanna, une mamita d’une soixantaine d’années qui tenait une échoppe de snacks et de jus de fruit frais. Dès les premières minutes, la patronne nous a adoptés. Les larmes aux yeux, elle nous relatait les tremblements de terre qui ont dévasté la région, et sa vie. Lorsque nous sommes revenus manger une de ses « papas enroladas » pour la seconde fois en une journée, nous faisions définitivement partie de la famille. Suzanna nous a présenté sa fille, ses petites-filles, et nous a fait promettre de venir lui dire bonjour avant de partir pour le trek (qui semblait être une folle aventure pour elle).
Chose promise, chose due, nous sommes passés par le marché avant de nous mettre en route pour les montagnes. Suzanna nous attendait, avec un pack pique-nique (pains et bananes à profusion). Impossible de payer quoi que ce soit, c’était un cadeau. « Et vous viendrez me voir à votre retour à Caraz, après le trek » (traduction de son espagnol tremblant)? Nouvelle promesse : Oui, nous viendrons.
C’est donc super équipés que nous avons rejoint Cashapampa pour prendre les chemins du Santa Cruz. Moins de cent mètres après l’entrée du site, un Allemand attendait, seul, sur un muret. Il nous a rapidement demandé s’il pouvait marcher avec nous. Nous avons naturellement répondu par l’affirmative. Les heures et jours suivants ont révélé que Thomas ne marchait pas « avec nous », mais « derrière nous », en permanence. Un rapide calcul nous a permis de réaliser que, durant notre premier mois au Pérou, nous avons passé la moitié de nos nuits en trek. Nous avions donc un sacré entraînement, et des journées de marche de 5 à 6h, comme prévu pour le Santa Cruz, ne nous demandent pas d’efforts surhumains, en dépit de l’altitude. Pour autant, nous n’avons pas laissé tomber Thomas et, tels la tête d’un peloton au tour de France, nous avons fendu le vent et tracé la route durant quatre jours, pour lui faciliter la tâche.
La randonnée était plaisante. Le premier jour, nous avons remonté le cours de la rivière.
Les paysages, totalement différents de ceux que nous avions parcourus jusqu’à présent, étaient bucoliques à souhait.
Durant la seconde journée, nous avons parcouru d’immenses plaines en remontant dans la vallée.
Étant plus rapides que prévu, nous avons fait un détour par un lac, situé au creux d’une montagne voisine, avant de revenir camper dans la vallée. D’expérience, nous craignions de dormir en trop haute altitude : le froid nous guette une fois le soleil couché.
L’étape la plus difficile du Santa Cruz se concentre sur la troisième journée. Nous devions escalader un col culminant à 4750m d’altitude.
Difficile pour nous de ne pas comparer l’exercice à l’Ausangate, qui nous a tant plu. Si l’ascension est jolie, les paysages ne détrônent pas ceux qui nous ont définitivement charmés à l’Ausangate. D’autant plus que nous avons rencontré des dizaines et des dizaines de touristes à l’approche du col, ce qui entache un peu la magie des lieux (qui restent majestueux, sans conteste).
S’en est suivie une descente sans fin jusqu’à la rivière, à coté de laquelle nous avons campé.
Le lendemain, en quelques heures de marche, nous sommes ressortis de la réserve.
Le coté touristique du Santa Cruz était ici évident : les enfants des villages, plutôt que de fréquenter l’école flambant neuve qui trône sur la place principale, mendient auprès des touristes.
Nous avons accéléré le pas, vers le dernier village du parcours.
Après un ultime dîner cuisiné au réchaud, le long de la route, nous avons embarqué à bord du « combi » (camionnette) d’une agence qui venait de déposer des marcheurs prêt à parcourir le Santa Cruz dans le sens inverse du nôtre. Nous avons apprécié le confort du transport, et la vue qui s’offrait à nous, durant les trois heures qui nous séparaient de Caraz.
De retour dans la ville, nous avons honoré notre promesse : nous avons rendu visite à Suzanna, au marché. Ne sachant comment la remercier pour ses attentions, nous lui avons apporté un petit cadeau : une photo de nous trois, imprimée par le photographe du coin. Pour maîtriser ses émotions, Suzanna s’est lancée dans la préparation d’un nouveau jus de fruit frais et d’un cake qu’elle nous a offert de bon cœur. Nos verres, une fois vide, ont été immédiatement remplis par ses soins. A nouveau, il était impossible de porter la main au portefeuille. Nous avons plaisanté sur la rentabilité de son échoppe. Mais il ne s’agissait pas de rentabilité. Nous faisions partie de sa famille d’adoption.
Après un dernier passage chez le glacier (ce qui porte le nombre de glaces avalées par Julien à 5, sur deux jours !), nous avons acheté nos tickets de bus de nuit, pour Trujillo. Pour la première fois, nous avons un « service à bord » du bus. Une hôtesse courtement vêtue, perchée sur des talons aiguilles à faire pâlir les randonneurs que nous sommes, nous a servi un snack et des boissons.
Après tant de confort et d’attentions, l’arrivée à Trujillo a été plutôt violente : lâchés à 4h30 dans le noir complet, nous avons rejoint, encore endormis, les bancs du terminal de bus, en attendant le lever du soleil.
Cela va bientôt faire un mois que nous sommes au Pérou. Et à bien regarder la carte du pays, nous ne sommes environ qu’à la moitié du trajet vers l’Equateur. Nous nous rendons compte des immenses richesses et possibilités touristiques du Pérou. Il va falloir que l’on se fasse à l’idée que nous ne pourrons pas tout faire. Nous décidons de donner un coup d’accélérateur et de prendre un bus de nuit pour l’inévitable Lima, la capitale du pays. Nous allons, après de nombreuses semaines, nous retrouver au niveau de la mer !
Lima… Ville de 10 millions d’habitants, presque autant que notre petite Belgique, 1/3 de la population péruvienne : cela en fait la 5ème plus grosse ville d’Amérique du Sud ! On nous met évidemment en garde concernant la sécurité dans la capitale. On commence à être habitués aux avertissements de ce genre. Les guides de voyage en regorgent et donnent du Pérou l’image d’un vieux Western où chacun risque sa vie au moindre carrefour. D’après nous, c’est vraiment exagéré et nous pensons que les guides touristiques présentant les pays européens pourraient être mis à jour d’une façon similaire l’année prochaine. Vous, les amis qui êtes à la maison, vous risquez autant votre vie que nous 🙂
Nous sommes accueillis à Lima par le bienveillant ‘garua’, cette bruine qui vient de la mer et semble couvrir toute la ville d’un voile blanc. Déprimant pour certains, il n’est en tout cas pas très photogénique. Il faudra faire avec ! Nous marchons notre première demi-heure à travers différents quartiers jusqu’à atteindre une belle et grande auberge juste en face de la basilique de Saint-François. Pour 40 soles la chambre dans la capitale (11 €), on doit dire qu’on a une vue plutôt sympa !
Cette basilique du XVIIème et son monastère seront d’ailleurs notre première visite. Une superbe découverte qui marquera nos mémoires. Nous retiendrons : son extraordinaire plafond en bois de cèdre sculpté, sa bibliothèque au charme fou avec ses deux escaliers en colimaçon et ses 25.000 ouvrages, et ses catacombes qui débordent encore aujourd’hui des ossements des 70.000 âmes qui y furent enterrées. Sans oublier les nombreux tableaux, notamment celui du Jésuite Diego de la Puente qui a représenté le denier repas à la mode péruvienne. La table est ronde ; une grande animation règne autour des convives ; et il y a du cuy sur la table (vous savez, ce cochon d’Inde qu’on a mangé au retour du trek de l’Ausangate).
Malheureusement, les photos n’étaient pas autorisées ! Mais bon… je vous en ai quand même déniché une :
Histoire de se remettre des catacombes, on part à la découverte des rues du centre…
On ne tombe pas vraiment sous le charme. On flâne ; on goûte les churros les plus connus de la ville (après avoir fait la file durant vingt minutes devant l’échoppe bondée) ; on va à la rencontre du (petit) quartier chinois… On essaye aussi d’être à l’heure au rendez-vous quotidien que fixe la Plaza de Armas avec les touristes : la relève de la garde. On reviendra d’ailleurs au même endroit de nuit pour prendre l’apéro sur un banc public et admirer l’éclairage des bâtiments inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.
Une des grandes richesses de Lima réside dans ses musées. Et notamment dans le musée Larco, de classe mondiale. Nous y avons passé toute une après-midi ! Il met en lumière le fait que les Incas ne sont qu’une partie des civilisations précolombiennes. Il en a existé de nombreuses, toutes plus intéressantes les unes que les autres. En gros, il faut savoir que le Pérou est considéré comme l’un des six berceaux de la civilisation, outre le Mexique, la Mésopotamie, la Chine, l’Egypte et l’Irak. La convergence de deux courants marins a doté le Nord du Pérou d’une mer très fertile propice à l’apparition des premières villes.
Comme le musée m’a passionné, j’essaye de vous faire partager ce que j’y ai appris…
Des céramiques datant de 2000 ans avant J-C, retrouvées dans des tombes, ont donné aux archéologues de nombreuses informations sur les civilisations. Ainsi, on sait que les premières cultures percevaient le monde en 3 étages et associaient à chacun d’entre eux des Dieux sous la forme d’animaux : le ciel et ses oiseaux, la terre et ses félins et le monde sous-terrain souvent lié aux serpents. Parfois, des animaux hybrides sont représentés (félins ailés, oiseaux avec des crocs…), symbolisant l’union des différents mondes.
On parvient à distinguer deux grands courants de céramique. Au Nord, les céramiques sont surtout mono ou bi-chromes et possèdent une anse en forme d’étrier.
Salinar, le rouge vient de la cuisson et le blanc est peint ensuite. On voit de gauche à droite, un félin, un serpent et un hibou.
Au sud, au contraire, les artisans utilisaient de nombreuses couleurs et l’utilisation d’une anse pont était assez généralisée.
Paracas Caverna, représentation d’un félin.
A partir du 1er siècle après J-C, on rentre dans l’époque dite d’apogée. Au Nord du Pérou, la culture Moche va produire ses plus belles céramiques qui détaillent avec précision son mode de vie et ses croyances. Les Dieux qui y sont représentés sont directement dérivés de croyances antérieures. Ainsi, il s’agit souvent d’êtres hybrides (parfois anthropomorphes) reprenant des éléments des trois mondes. Nous nous intéresserons d’un peu plus près à cette culture, plus tard dans notre voyage au Pérou. Voici déjà un exemple de poterie Moche :
Cette civilisation pratiquait aussi les sacrifices humains. Des combats de guerriers étaient organisés et le vainqueur était offert aux Dieux. Voici une représentation métaphorique de l’issue du combat : un félin (le Dieu, le vainqueur) domine un être humain (le vaincu).
Les Moches sont aussi connus pour avoir produit des sculptures érotiques, voir carrément pornographiques. Allez, c’est vraiment parce que je sais que vous allez le demander si je n’en mets pas :
A partir de l’an 800 environ, pour différentes raisons, les cultures commencent à fusionner et l’on observe des caractéristiques des poteries du Sud dans les poteries du Nord et inversement. Dans tous les cas, les croyances restent plus ou moins similaires et les Dieux sont toujours les êtres hybrides déjà décrits.
Huari du Nord, divinité type « félin » avec des ailes d’oiseaux et une ceinture de serpents
Vers 1300, on rentre dans l’époque impériale durant laquelle deux grandes civilisations prospèrent et prennent le dessus sur les autres. Au Nord, il s’agit des Chimus et, au Sud, des fameux Incas. Les poteries représentent de plus en plus des hommes de pouvoir plutôt que des divinités en tant que telles et la production commence à se faire en série.
Avec l’arrivée des Espagnols en 1532, l’art est complètement bouleversé. Une poterie m’a personnellement retourné. Vous vous souvenez que le félin est un Dieu et qu’il domine évidemment l’Homme. Au delà des sacrifices humains dont nous avons parlé, l’Homme chasse parfois le daim afin de l’offrir aux Dieux. Il y a donc des représentations d’hommes chargeant ces daims sur leur dos dans ce but. Voici un détail d’une poterie produite pendant l’ère espagnole :
Le félin est chargé sur le dos d’un homme, étant relayé de la sorte au rang du daim!!! Impensable et complètement à l’encontre des cultures indigènes… L’Homme semble être passé au-dessus de ses propres Dieux. Quel dégât que la découverte de l’Amérique par les colons.
On se remonte le moral en constatant que Hergé, lui, s’est inspiré de la culture pré-hispanique profonde pour « L’Oreille Cassée ».
Nous finissons par quitter le musée lorsqu’il faisait déjà noir dehors.
Le lendemain, pour notre dernière journée, nous partons à la découverte des quartiers chics de Lima. Franchement, on n’a pas été sublimés et on ne se sentait pas à notre place. Le capitalisme en plein… Bref, intéressant à voir, mais on n’a pas aimé.
En plus, pour une fois qu’on fréquente un quartier plus huppé que d’habitude, on a été victimes d’une arnaque. Un taxi, avec une « cliente » à l’arrière, s’est arrêté pour nous demander du change. Cinq minutes plus tard, on était délestés de 60 Soles, en échange de 3 faux billets de 20 Soles… On sait pourquoi on fréquente les quartiers plus populaires, plus sûrs. Ca nous apprendra !
Bon… Ne noircissons pas tout, nous sommes tombés dans un parc face à un espèce de petit amphithéâtre où les gens prennent leur guitare et font partager leur talent. Chouette ambiance !
Nous étions tout de même assez soulagés de retrouver « nos » quartiers, « notre » bouffe de rue et « notre » bus troisième classe, plein à craquer, direction Caraz. Objectif : se reprendre une bouffée de montagnes dans la cordillère blanche.
Pour nous, Abancay signifait « retour à la civilisation après 4 jours de trek et d’autonomie alimentaire ». Du coup, on a visité la ville comme des gastronomes : dîner au marché, puis glaces, jus de fruit, biscuits… (nous, en manque de sucre ? Jamais!).
Et le soir, nous avons remis ça, avec une gelée de fruits chaude qui colle aux dents. Si ma description ne fait pas rêver, le résultat dans la bouche est plutôt satisfaisant.
Nous avons ensuite pris un bus pour Ayacucho (deux bus, en réalité, pour un total de 8h de trajet) pour ne pas être bloqués à Abancay pour cause de surpoids.
Ayacucho est une jolie petite ville, perdue dans les Andes.
Profitant de cet éloignement géographique (la première route asphaltée vers Lima ne date que de 1999!), le groupe terroriste du « sentier lumineux » y a fait beaucoup de dégâts. Ce mouvement révolutionnaire qui visait à renverser le gouvernement provoqua des milliers de morts dans la région. Nous avons visité le musée de la mémoire pour mesurer l’ampleur du conflit interne qui a animé le Pérou durant près de vingt ans (de 1980 à 2000).
Aujourd’hui, la ville est on ne peut plus sure, mais les touristes la boudent. Du coup, nous y avons d’autant plus accroché!
Décrite comme la capitale du folklore, nous y avons croisé par hasard deux processions religieuses (avec fanfare, pétards artisanaux et autres manifestations sonores), et un enterrement tout aussi bruyant. Il est apparemment coutumier de bloquer des rues entières, voire un quartier, pour laisser passer une procession dont nous étions les heureux témoins.
A Ayacucho, nous avons renoué avec l’odeur de la pluie sur le sol sec.
La météo était cependant en corrélation avec l’amabilité des Péruviens : plus le ciel se montrait menaçant, plus les Péruviens étaient amicaux. Au point de nous tenir la jambe durant plusieurs dizaines de minutes au mirador, en tentant tant bien que mal de communiquer en espagnol… et lorsque l’un partait, d’autres arrivaient, tous curieux de notre passage dans la ville.
Cette fois, ça y est, nous avons acheté le fameux ticket de bus pour Lima. Une société locale nous a fait une superbe offre : nous allons voyager en bus cama (lire : sièges en cuir, qui s’inclinent jusqu’à une position quasi-couchée, avec chauffage et couverture).
Une première en plus de deux mois de voyage en Amérique du Sud. Nous allons goûter au luxe, et peut-être passer une nuit reposante en bus!
Choquequirao est présenté comme « la petite sœur du Machu Picchu », les touristes en moins, les heures de marche en plus. Quatre jours de randonnée sont nécessaires pour découvrir ce site méconnu. Tout un programme !
Afin de préparer nos gambettes pour ce nouvel effort, nous avons commencé ce trek par… une journée de repos à Santa Teresa, entre ses thermes et son village paisible. C’est sur la place principale que nous avons récolté les dernières informations sur Choquequirao. Il faut dire que nous ne faisons, à nouveau, pas les choses de manière traditionnelle. Les aventuriers qui souhaitent visiter « la petite sœur » partent en général de Cuzco, et font soit un aller-retour (2 fois 2 jours de marche), soit continuent leur route de Cuzco vers le Machu Picchu, en passant par Choquequirao (une randonnée de 9 jours au total). Nous souhaitions faire le parcours dans la direction opposée, ayant déjà visité le Machu Picchu, et souhaitant éviter un aller-retour inutile vers Cuzco. Première démonstration de « pourquoi faire les choses simplement lorsqu’on peut les compliquer à l’envi ? ».
A Cuzco, on nous avait assuré qu’il y avait un bus entre Santa Teresa et Yanama, le point de départ d’un trek que nous souhaitions raccourcir le plus possible : nous ne sommes pas totalement remis de nos randonnées passées, et les paysages autour de Choquequirao ne sont pas exceptionnels, comparés à ceux de l’Ausangate. Nous avions donc « signé » pour une randonnée condensée de 4 jours, avec en moyenne 6 à 7h de marche quotidienne.
Presque trop facile. Du coup, le sort a compliqué un peu les choses…
Sur la place principale du village, nous avons appris que le bus reliant Santa Teresa à Yanama n’existe pas. Le plan B était de monter à bord du véhicule d’un gars qui rentrait dans son village (Totora), sur la route vers Yanama, à… 3h du matin. De son village, nous assurait-il, nous trouverions un taxi collectif pour Yanama. Lâchés à 4h30 à Totora, nous avons rapidement constaté qu’aucun transport ne nous mènerait plus loin : nous devions marcher jusqu’à Yanama.
Au pied des montagnes, dans le froid de la nuit, il n’y avait qu’une chose à faire : s’armer de sa lampe frontale et se mettre en route pour ne pas congeler sur place. Nous nous sommes donc activés jusqu’à ce que le soleil nous réchauffe le bout du nez et nous permette de préparer notre petit déjeuner.
Yanama, ce n’était pas la porte à coté : le village est situé à 7h de marche de Totora, de l’autre coté d’un col culminant à 4643 m.
Sept, c’est le nombre d’heures de marche que nous nous étions fixées quotidiennement pour cette randonnée. Sauf qu’avec le contretemps du taxi fantôme de Totora, nous étions en retard sur notre planning. Nous avons donc décidé de pousser l’effort pour atteindre le prochain col (2h d’ascension).
Et une fois en haut du col, nous nous sommes dit que nous pourrions pousser l’effort encore plus loin, et rejoindre le campement où nous comptions initialement poser notre tente (3h de descente raide). Au total : un dénivelé positif de 1800m et négatif de 2000m, pour 12h de marche en une journée, qui a commencé et terminé à la lueur de nos lampes frontales. Une folie, qu’on s’est promis de ne jamais reproduire.
Il faut dire que nous devions épargner nos genoux : si ce trek est exceptionnel sur un point, c’est pour son dénivelé quotidien. Nous descendions dans une vallée pour mieux remonter sur la colline opposée. Et ainsi de suite. Un petit jeu qui ne nous a que moyennement amusés quatre jours durant.
Les sites qui jalonnent le chemin nous ont par contre tout à fait conquis. A 3h de marche du Choquequirao s’étalent des terrasses remarquablement conservées.
Et de l’autre côté de la montagne, nous avons repéré les premières ruines de Choquequirao à la lueur de nos lampes de poche (caramba encore raté : difficile d’atteindre un camping en plein jour!).
Pachamama (la terre mère) a sans doute comploté pour que nous découvrions l’impressionnant Choquequirao au petit matin. Un petit dej’ de notre recette favorite plus tard (avoine, lait en poudre, pommes, cannelle et fruits secs – on vous assure, c’est délicieux), nous voilà qui foulions les terrasses du Choquequirao.
Plus nous avancions sur le site, plus nous découvrions des ruines cachées dans les fourrés. Nos gambettes ont été fortement sollicitées pour les explorer. Le point culminant de la visite (au sens métaphorique : il se trouvait en réalité à plusieurs centaines de mètres en contrebas de l’ensemble) a été sans conteste le secteur des lamas : des terrasses sur pas moins de 56 niveaux, vieilles de plus de 5 siècles, décorées de pierres blanches figurant… des lamas.
Choquequirao dans son ensemble a de quoi surprendre. Considéré comme le refuge des derniers chefs incas, le site n’a jamais été découvert par les Espagnols. Dans leur fuite définitive, les Incas ont en effet pris soin de détruire les chemins qui conduisaient à leur base de résistance afin de la préserver. Ce n’est qu’en 1986 (année de naissance de Julien – il n’est pour rien dans cette histoire, mais ressent toujours une certaine fierté à l’évocation de cette année magique) que Choquequirao sort définitivement de l’oubli. Sous l’égide de l’UNESCO, des travaux de défrichage sont entrepris, dévoilant actuellement environ 50 % du site. Les recherches avancent au fur et à mesure que les caisses se remplissent… et ce n’est pas le prix d’entrée du site (4 fois moins cher que le Machu Picchu) ni le nombre de visiteurs quotidiens (une petite vingtaine) qui permettent d’accélérer les choses. En attendant, les courageux randonneurs qui arrivent jusqu’ici peuvent explorer le site à leur guise, étant pratiquement seuls sur place.
Le plus grand exploit du jour sera sans doute d’avoir atteint notre prochain camping à 17h10, soit près d’une heure avant que le soleil ne se couche. Nous avons célébré l’occasion avec une cruche de « chicha de caña », une boisson fermentée à base de canne à sucre (succès total auprès de Julien – beaucoup moins de mon côté), et LE repas typique de la vallée, servi à tous les randonneurs : riz, patates et œuf sur le plat. Heureusement que nous sommes en autonomie alimentaire les autres jours, pour agrémenter notre assiette de pain, nouilles, pâtes, soupe et quinoa !
La dernière remontée, de la rivière aux sommets civilisés, a sans doute été la plus douloureuse (4h d’ascension ininterrompue sous un soleil de plomb). Pour faire passer la pilule, nous avons randonné en « équipe belge », avec Émilie et Miguel, rencontrés en route.
Notre vilain défaut s’est avéré être contagieux : est-ce à cause de nos trop longues « pauses-discussions » sur la Belgique, du taureau qui nous a devancé sur le chemin et que nous n’osions pas dépasser de peur de le fâcher, ou de nos débats avec des villageois en état d’ébriété avancé ? Le résultat était là : nous sommes, pour la troisième fois en quatre jours et pour la dernière fois de ce trek, arrivés dans le noir à San Pedro de Cachora.
La recherche de camping a cependant été très rapide : Miguel, jouant de ses charmes d’infirmier, nous a dégoté un énorme morceau de pelouse à l’arrière d’un hôpital.
Julien, qui est devenu fan de la Chicha, nous a ensuite traînés dans un boui-boui producteur de la fameuse boisson locale. Parfumée à la fraise, ou nature, rien n’y fait : Emilie, Miguel et moi sommes incapables de finir nos verres. Julien perd même de son enthousiasme après s’être englouti, seul, 2 verres et demi de Chicha plus ou moins fermentée.
Nous avons fait une dernière incursion dans la vie locale en allant visiter la pierre de Sayhuite. Un peu à l’écart du village de Antacirca, cette pierre taillée par les Incas surplombe fièrement d’autres ruines, où les enfants du coin ont organisé un cache-cache géant.
Une centaine de mètres en contrebas, des évangélistes tentaient de recruter des nouveaux membres à coup de beignets presque gratuits. Julien a sauté sur l’occasion et moins de 5 minutes plus tard, nous étions assis à l’arrière de l’église, contraints d’écouter un Padre qui paraissait très inspiré. Cinq autres minutes plus tard, nous levions le camp, non sans être repassés par le stand des beignets (où nous avions habillement laissé nos sacs en dépôt).
La suite aurait pu être aisée : prendre un bus pour Lima. Dernière illustration du « pourquoi faire les choses simplement lorsqu’on peut les compliquer à l’envi ? » : nous avons décidé de rejoindre Lima, non pas par la côte (voie traditionnelle), mais par les terres, en faisant halte à Abancay et Ayacucho, et en prenant 4 fois plus de transports que nécessaire pour rejoindre la capitale.
Au fond, les choses simples ne sont peut-être pas faites pour nous !
Dépités et honteux. C’est exactement les adjectifs qui qualifient notre petit groupe belgo-autrichien en ce moment. Christina essaye tant bien que mal de motiver Thomas à décoller ses fesses du balcon de l’auberge… Rien n’y fait. La discussion tourne autour de l’organisation de la visite du Machu Picchu, ce site hautement emblématique du pays qui n’est plus à présenter.
Après de nombreuses discussions avec les backpackers, il semble que notre cas ne soit pas unique. Effectivement, de leurs foyers, toutes les familles des voyageurs, qu’elles soient européennes, japonaises, russes ou ouzbeks se donnent la main dans nos rêves et, unissent leurs voix pour nous demander en chœur : « Alors, quand est-ce que vous allez au Machu Picchu ? ».
Nous sommes donc dépités parce que nous n’avons pas une grande envie de nous lancer dans la folie du Machu Picchu. De ce dépit découle notre honte. « Mais vous n’imaginez pas la chance que vous avez d’être là ? Comment pouvez-vous être dépités ? »… Bref, ce sentiment que nous partageons entièrement avec nos amis autrichiens, nous le déversons sur cette petite coursive en bois dans l’espoir qu’une petite voix nous souffle une solution.
Pourquoi nous n’avons pas envie d’aller au Machu Picchu me direz-vous ? Voici une petite liste non-exhaustive des raisons :
Le prix de l’accès au site : 40 € par personne pour une journée soit l’équivalent de presque 3 jours de notre budget ; le ticket le plus coûteux que l’on ait vu durant tout notre voyage. On peut se payer un ticket pour le Taj Mahal et pour 3 jours à Angkor Wat à ce prix là : les deux sites les plus emblématiques d’Inde et d’Asie.
Le prix du transport : si on le fait en mode « classique », il faut compter, par personne, environ 150 € pour le train aller/retour (monopole d’une compagnie privée) + 30 € de bus. Tout ça pour une journée de visite.
L’énergie à déployer pour l’organisation du transport « pas cher » : on doit se taper une journée entière de bus, de taxis et deux heures de marche pour accéder au pied du Machu Picchu. Il en coutera moins de 10 € par personne ce qui est déjà plus raisonnable que la solution précédente.
Le stress lié à l’achat du ticket : les gens s’y prennent plusieurs mois à l’avance pour être certains d’avoir un ticket d’entrée et de pouvoir grimper sur le Wayna Picchu, la montagne adjacente au site. De plus, il faut acheter le Saint-Graal en indiquant la date exacte de notre arrivée sur site…
Le stress lié à l’accès au site : les gens se lèvent avant l’ouverture des portes (vers 4h30 du matin) et se ruent en jouant des coudes pendant une ascension de 45 minutes pour être les premiers sur le site et ne pas avoir de touristes sur leurs photos. Marche, crève ou paie ton bus !
Les abords du Machu Picchu : la ville d’Agua Calientes est moche, les immondices sont difficiles à évacuer au vu de l’afflux des touristes, tout est très cher et on craint les vols en permanence.
Les restrictions sur le site : on n’apporte ni à manger ni à boire; achetez et consommez sur place, bande de moutons ! Les bâtons de marche ? Seulement pour les vieux, les femmes enceintes et les cul-de-jattes. Et il paraît qu’on ne peut même pas taguer nos noms sur les pierres centenaires. Honteux on vous dit.
Le peu que l’on connaisse du Machu Picchu : en réalité, les archéologues ne connaissent pas grand-chose du site. Tout n’est que suppositions. Nous allons donc visiter un « truc ».
Finalement, nous prenons notre courage à 8 mains et décidons d’aller voir ce foutu Machu Picchu ! Au moins on partage tous le même sentiment et on finira probablement par en rire.
On prend les transports locaux, on marche le long de la voie ferrée, on fait coucou à ceux qui payent le train… Bref, on commence à s’amuser et à sortir de nos pensées noires 🙂
On plante notre tente dans le camping municipal juste à côté de l’entrée au Machu Picchu. Ainsi, on pourra nous aussi jouer des coudes et des cornes quand l’arène sera ouverte. Levés à 4h30, une centaine de badauds nous ont déjà devancés… C’est ballot ! On ne se décourage pas pour autant, on sourit à nos semblables qui doivent probablement être passés par les mêmes phases de doutes que nous. « Mais pourquoi faisons-nous ça ? » Et là, on passe enfin le premier contrôle, on accélère le pas, certains courent. Après les premières marches, d’autres sont déjà accoudés aux arbres… Ça respire fort, ça transpire, ça gerbe un peu, ça monte, ça escalade et… ça ne parle presque pas pendant 45 minutes. Allez les gars, on y est presque. « Mais… pourquoi ??? » Et, enfin, nous y voilà !!! Nos corps et nos âmes découvrent la délivrance face à ce spectacle :
Bon… On dirait bien qu’on a couru comme des cons pour rien, il y a du brouillard et il va falloir attendre que ça se lève avec les fans des selfie-sticks (les bus sont arrivés entre temps).
On en profite pour étudier un peu notre chemin avant de se perdre dans les nuages. On fait des photos histoire de passer le temps.
Finalement, on « s’écarte » du sentier touristique pour aller voir un pont inca…
Le temps de revenir sur le site principal, le brouillard a disparu ! Wouhou, voilà enfin le Machu Picchu. Aller, on avoue, ça a quand même de la gueule et on est content d’être là.
Puisqu’on aime se faire mal, on a décidé de grimper le Mont Picchu, une des montagnes qui jouxte le site. Une heure et demi de montée plus tard, on profitait, à 3061 m, de la belle vue sur le site inca.
A midi, on se cache pour manger les sandwichs et fruits qu’on a introduits de manière illicite sur le site. Un gardien nous voit. On voit le gardien… On se sourit, il nous laisse dans notre délit. Allez, de nouveau, le Machu Picchu ce n’est pas si foireux que ça.
On passera l’après-midi à déambuler dans la partie principale du site. C’est joli joli mais, comme dit dans l’intro, on a pas grand chose à raconter… Le site daterait environ du XVème siècle, on n’est pas vraiment certain de son usage précis mais il contient bon nombre de terrasses et d’habitations qui permettaient à toute une communauté de travailler et de vivre ensemble. Le Machu Picchu aurait été abandonné après la prise de Cuzco par les Espagnols, et les Incas se seraient retranchés à Choquequirao, un site encore plus reculé que le Machu Picchu (voir la prochaine brève).
Certaines pierres sont magnifiquement sculptées et les constructions s’intègrent parfaitement dans le décor naturel. Une harmonie vraiment séduisante…
On vous épargne toutes les photos qui se passent de commentaires et que vous pouvez regarder à votre aise dans l’album !
Finalement, l’heure de la séparation avec Christina et Thomas approche. On se bisoute et on se promet de se revoir en Europe. Pour nous, la fin de la journée sonne comme un dernier retour à la partie stressante du Machu Picchu. Il nous reste à redescendre tout le chemin du matin, replier la tente (et espérer que l’on ne se soit rien fait voler) et marcher de nouveau deux heures le long des voies de chemin de fer… On terminera à la frontale au milieu de la jungle , accompagnés de 8 Péruviens qui effrayent toutes les créatures vivantes avec la musique qui s’échappe de leurs portables.
Notre expérience contraste avec celle des touristes qui font la file durant 30 minutes pour payer un bus à 15 $ qui leur fera économiser 30 minutes de descente à pied… (soit, un jeu nul – nous arriverons au même moment à la sortie du site).
Au Machu Picchu, tous les types de voyageurs se rencontrent. Et finalement, c’est peut-être cela aussi l’intérêt du site!
Après avoir flâné si et là sur les traces des Incas, nous sommes fin prêts à découvrir leur capitale : Cuzco. Nous avons emprunté le chemin suivi par Juanita il y a plus de 500 ans, avec une différence notable : nous voyageons en bus de nuit, et non à pied chaussés de sandales de cuir. C’est donc un peu courbaturés mais les pieds intacts que nous avons fait nos premiers pas dans la ville la plus touristique du Pérou.
Cuzco, ses bâtiments coloniaux et ses glaces italiennes à 1 Sole – 0,30 centimes d’euro – nous ont rapidement séduits.
Grâce au Free Walking Tour auquel nous sommes désormais abonnés, nous avons eu un bel aperçu de la ville en trois heures de balade. Notre guide, un Quechua pure souche, nous contait l’histoire de Cuzco, des Incas à nos jours, en tapant à volonté sur le dos des Espagnols… les colonisateurs européens dont le passage en Amérique latine s’est avéré dévastateur pour les cultures locales. Et pour noyer notre honte, les Free Walking Tours se terminent immanquablement par une dégustation gratuite du Pisco Sour (cocktail péruvien à base de Pisco).
Nos verres une fois vides, nous ne nous sommes pas éternisés à Cuzco. Nous avons à nouveau ressenti l’appel de nos petits petons en manque de montagne. Leur prochaine destination était toute trouvée : l’Ausangate, au sommet enneigé, domine majestueusement Cuzco. Une rapide recherche sur internet confirme notre choix : cette randonnée est considérée comme l’un des vingt treks les plus beaux du monde. Impossible de passer à côté.
L’ennui, c’est qu’en agence, ce trek en altitude est proposé pour la jolie somme de 500 US dollars, avec guide, muletiers et mules (l’équivalent de notre budget mensuel pour quelques jours de bonheur!). Après avoir fouillé sur internet, nous avons réalisé qu’il était possible de se lancer dans l’aventure seuls, avec tente et nourriture pour 5 jours. Les voyageurs conseillaient d’engager malgré tout des muletiers, car les efforts en altitude sont particulièrement difficiles, et le poids d’un sac à dos complique d’autant les choses.
Plutôt que d’engager des muletiers, nous avons décidé de dénicher d’autres fous de la randonnée, prêts à se lancer à l’assaut de l’Ausangate en groupe, afin d’assurer notre sécurité mutuelle.
C’est dans cet état d’esprit que nous avons engagé la conversation avec un couple d’Autrichiens qui logeaient dans notre auberge. Bingo ! Quelques heures plus tard, nous étions tous les quatre (Christina, Thomas, Julien et moi) sur le marché, pour faire le plein de provisions pour les jours à venir.
La nuit suivante a été agitée par les pétards annonçant la fête nationale, et c’est de bonne heure le lendemain que nous avons pris un bus public en direction de Tinke, d’où débute le trek de l’Ausangate.
C’est parti pour l’aventure ! En moins d’une heure d’ascension, nous étions totalement dépaysés : les villages ne sont constitués que d’une poignée de maisons, reliés à Tinke par des motos uniquement. Nous avons croisé un dernier camion dont la benne était remplie d’écoliers. Et puis plus rien : que des marcheurs, des mules, et leurs guides.
Arrivés au premier campement sans encombre, nous avons planté nos deux tentes au milieu des campements bien organisés des agences.
Nous avons immédiatement été identifiés comme les outsiders, et avons été adoptés par les guides et muletiers qui nous ont donné, tout au long du parcours, de précieux conseils. Pas rancuniers les gars !
Notre première nuit à plus de 4000m d’altitude a été froide… très froide. Nos doigts se figeaient durant la préparation du souper sur nos deux réchauds à alcool, et nos sacs de couchage ont peiné à nous réchauffer durant la nuit. Au réveil, nous avons pris la décision de vivre au rythme du soleil : nous nous lèverons et nous coucherons avec lui. Sans la chaleur dégagée par ses précieux rayons, il est difficile de sortir le bout de son nez des couvertures.
La deuxième journée de trek nous a offert nos premiers cols et nos premières lagunes.
Au fur et à mesure des mètres, nous avons expérimenté la raréfaction de l’oxygène. Nous étions incroyablement lents durant les ascensions, et nos sacs encore pleins à craquer de nourriture pour les jours à venir ne nous facilitaient pas la tâche.
Lentement mais sûrement, nous sommes malgré tout arrivés sur un nouveau flanc de l’Ausangate, où les lamas et des alpagas nous attendaient en nombre.
Le campement, le plus haut de l’aventure (4730m) était déjà à l’ombre des montagnes lorsque nous l’avons atteint.
Nous avons expédié le souper pour échapper autant que possible au froid mordant, avant d’accumuler quelques heures de sommeil, dans des conditions relativement difficiles.
Les tentes sont couvertes de givres au petit matin, et Christina et Thomas ont découvert de la neige à l’intérieur de leur habitacle. Pas le temps de s’apitoyer sur notre sort : nous devions entamer l’ascension du col le plus haut du trek, situé à plus de 5200m d’altitude.
C’est une première, pour tous les quatre : nous avons franchi la barre symbolique des 5000m d’altitude à pied. Cela valait bien un selfie !
… et une photo au sommet.
De l’autre coté du col nous attend un petit « village » composé de trois ou quatre maisons de bergers, entourées d’excréments de lamas, d’alpagas et de moutons. Un cadre qui nous a incité à faire une pause lunch.
Moins de deux heures plus tard, nous étions au campement, alors que les rayons de notre cher soleil brillaient toujours. Pari réussi ! De peur de nous retrouver à nouveau bloqués par le froid, nous avons aménagé l’intérieur de notre tente afin d’accueillir Christina et Thomas pour le souper et le petit déjeuner.
La nuit était moins froide, mais il a tout de même gelé, et les heures de sommeil manquent bien que nous étions au lit de 20h à 6h.
Dans ces conditions, le point de chute du quatrième jour nous a particulièrement motivé : des sources d’eau chaude. Nous avons passé le dernier col supérieur à 5000m d’altitude comme si nous étions désormais habitués au manque d’oxygène, avant de redescendre vers la région des lacs.
En chemin, Julien a apprivoisé des vigognes – animaux sauvages très peureux. Bel exploit !
Les lacs sont complètement transparents, presque irréels.
Nous nous sommes égaré parmi les étendues d’eau, et n’avons retrouvé notre chemin qu’en suivant les déjections de mules plus ou moins fraîches. Charmant !
Notre enthousiasme en a pris un coup lorsque nous avons découvert les sources d’eau chaude en fin de journée. Une route a été construite depuis peu jusqu’au village et ce sont plusieurs cars de touristes qui déversent leurs passagers au pied des bains tous les jours. Nous nous sommes éloignés sur les hauteurs pour camper chez un muletier prénommé Julien (qui n’en revient pas d’accueillir dans son jardin un autre Julien – il ne faut pas grand-chose pour être hilare).
Nous étions ici seuls, parmi les chiens, les chevaux et les enfants de Julien. Une fois la tente plantée, nous avons fait un détour par les sources, avant de consommer notre dernier souper cuisiné à l’aide des réchauds : de la soupe et du pain, la fin de nos provisions. Nous rêvions déjà au lunch du lendemain, emmaillotés dans les couvertures que Julien (le péruvien) nous a gentillement prêtées.
Le lendemain, c’est donc la route vers Tinke que nous avons empruntée. Nous avons poursuivi la randonnée durant 2km supplémentaires pour dîner, à l’extérieur du village, dans la meilleure rôtisserie de cochons-d’inde du coin. Une spécialité au Pérou. La tenancière nous a présenté le cochon-d’inde comme étant de la taille d’un poulet. Nous avons donc commandé un unique animal pour toute l’attablée. La déception était à la hauteur de notre faim : il n’y a pas grand-chose à manger sur la bête, et ce ne sont pas les quelques pommes de terre d’accompagnement qui ont calmé nos estomacs.
A la sortie de table, nous avons sauté dans un bus pour Cuzco en nous promettant de nous cuisiner un festin de retour à l’auberge : des pêches au thon belges en entrée, et des schnitzels autrichiens en plat principal, le tout arrosé de bière péruvienne. Un menu international qui nous fait encore saliver!
Et ce petit souper était l’occasion rêvée pour notre fine équipe de planifier une autre activité ensemble : la visite du Machu Picchu, suivie pour Julien et moi de la visite de Choquequirao.